Cheikh ABOUBAKR HADJ AISSA El Aghouati

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Cheikh ABOUBAKR HADJ AISSA EL AGHOUATI
Cheikh Aboubakr Hadj Aissa "El Aghouati
1912 - 1987
L'Educateur de deux générations

Connu sous le nom de Aboubakar El Aghouati au sein de l'association des oulémas musulmans algériens est né en 1912 à el oued ( son père y a exercé en qualité de cadi) . Il est issu d'une famille connue pour sa piété et pour sa science religieuse . Leur aïeul est Sidi Hadj Aissa dont le mausolée surplombe la ville de Laghouat.
C'est au sein de cette famille pieuse que le jeune Aboubakar apprit le coran très jeune ainsi que les rudiments de la langue arabe et les sciences religieuses .Il est rentré à l'école française tout en continuant à suivre des cours dans les sciences religieuses des mains de plusieurs maîtres Très jeune , il se distingua de ses pairs par sa grande intelligence et un grand désir de se surpasser , ce qui lui attira l'attention particulière de l'envoyé de l'association des oulémas à Laghouat ,Cheikh Moubarak El Mili qui le proposa pour poursuivre ses études à la célèbre Université Islamique de Zaytouna de Tunis. Ce qu'il fit avec grand brio : il se fit remarquer par l'illustre Cheik Abdelhamid Benbadis qui le maintient à ses cotés pour assurer les cours au sein de la prestigieuse" mosquée verte" El Masjed El Akhdar de Constantine pendant plusieurs années.
A la mort de Benbadis , Chikh El Ibrahimi se voit confier les destinées de l'association , et nomme au poste de secrétaire générale de l'association chikh aboubakar , alors agé d'une trentaine d'années. Il conserva ce poste de 1946 à 1951 avant de se voir confier la direction de la medersa de la ville de blida.
Mais il ne peut supporter de rester loin de laghouat, qu'il aime au dessus de tout après son amour de Dieu et de son prophète et c'est sur son insistance et à la demande des habitants de laghouat que chikh el ibrahimi consentit enfin à le laisser partir pour Laghouat pour rejoindre la medersa de l'association qui a été ouverte en 1948.Il y enseigna en compagnie des autres cheiks tels que Cheik Chatta , Cheikh Hocine Zahia , Cheikh Attalah Kazouai et bien d'autres.La medersa a été pendant toute cette période et jusqu'à sa fermeture par l'occupant français et l'emprisonnement de ses maitres en 1958, le ferment et le levain de l'amour de la patrie et des idées révolutionnaires de libération.Chikh Chatta trouva la mort sous l'effet de la torture et Chikh Aboubaker resta emprisonné jusqu'en 1960.
Après l'indépendance, il fut nommé comme inspecteur de l'enseignement arabe primaire et moyen pour la région de laghouat . La lutte n'était donc pas terminée , a pensé notre vénéré cheikh et l'indépendance ne peut se concevoir sans la réappropriation de tout notre patrimoine culturel .
Il se mobilisa pour cette immense défi avec toute l'abnégation que l'on lui connaît jusqu'à épuisement : il tomba malade en 1983 , année de sa mise en retraite et lutta contre la maladie qui finit par l'emporter en 1987 .Que Dieu vous récompense pour ce que vous avez fait pour que la nation retrouve ses valeurs culturelles spoliées .
Cheik Aboubakr a laissé trois ouvrages sur les "bases de la langue arabe" destinées aux élèves du cycle primaire et moyen et s'apprêtait à se consacrer à l'écriture sur d'autres sujets mais la maladie a eu raison de lui et ne put achever son projet.
J'ai retenu de mon père trois choses qui ont constitué des traits essentiels de ma personnalité :
1°) l'amour de la science et de la lecture.
2°) l'humilité.
3°) la patience
denrées rares à notre époque chez nos jeunes .

Quelques aspects méconnus de la vie de Cheikh Boubaker El Aghouati

Je voudrais parler cette fois ci de quelques aspects de la vie de Cheikh Aboubaker que seuls les gens qui l'ont approché de près, connaissent et qui peuvent constituer, pour les jeunes générations, un exemple à méditer et à suivre.Cheikh Aboubaker a été nommé en 1962 , comme premier inspecteur de l'enseignement en arabe pour toutes les régions du sud et que de ce fait et dans les conditions difficiles du pays , a pu mener la première rentrée scolaire post indépendance. Notre cheikh savait que la mission ne sera pas de tout repos et qu'il lui faudra affronter l'opposition de ceux que la politique d'arabisation ne plaisait pas. Il savait notamment que tout sera fait pour entraver la marche du pays vers le recouvrement de sa personnalité spoliée durant 132 ans. Il s'entoura de jeunes lettrés en arabe et leur donna leur chance comme enseignants et les encouragea à prendre en mains les destinées d'un secteur très sensible. Ces jeunes à peine la vingtaine, pleins d'ardeur et animés d'une foi inébranlable dans la noblesse de leur mission, ont accepté sans rechigner de rejoindre leurs postes de travail dans les coins les plus reculés du grand sud : de Hassi r'mel à In salah en passant par El goléa, Touggourt, Ouargla (pour ne citer que les grands centres).Le salaire était bien maigre et les conditions de vie et de travail étaient des plus pénibles mais rien ne les dissuada de répondre au devoir du pays. La rentrée scolaire de toutes les villes du grand sud, la première de l'Algérie indépendante a pu se faire en dépit de l'exode massif des enseignants français : un défi a été lancé et il a été gagné grâce à la jeunesse cultivée de Laghouat qui a pris à bras le corps cet immense défi s'appropriant les problèmes posés dans des régions éloignées et se trouvant à des milliers de kilomètres de la ville qu'ils n'ont jamais quittée auparavant.Des stages accélérés de formation ont été organisés à l'intention de ces jeunes grâce au dévouement des professeurs de la medersa libre de l'association des Ulémas et des lycéens et étudiants qui ont été sollicités pour mener à bien cette opération de mise à niveau des préposés à l'enseignement .Au fur et à mesure des années tous les postes d'enseignants disponibles ont pu être comblés et Laghouat était devenue le principal pourvoyeur pour tout le sud en enseignants compétents et prêts à tous les sacrifices pour mener à bien la noble mission dont ils ont été investis.Une victoire qui n'a pas été du goût des « nostalgiques » de l'époque coloniale qui montèrent une véritable conspiration contre notre cheikh et rédigèrent contre lui en 1965 un rapport au ministère de l'éducation nationale , dénonçant un « soi disant »laisse aller constaté au niveau de l'inspection de l'enseignement . Et la décision tombera comme un couperet, sans prendre la peine de s'assurer des accusations : notre cheikh est suspendu de ses fonctions sans aucune forme de procès et sans daigner lui permettre de se défendre.Cette décision inique a été très mal ressentie par la population de Laghouat qui se mobilisa pour demander la réintégration du cheikh qui, imperturbable, rejoignit son domicile et s'en remet à Dieu.Moi, avec la fougue des adolescents et voyant mon père ne rien tenter pour se disculper des graves accusations portées contre lui, alla un jour le trouver dans sa bibliothèque pour lui demander en pleurant, à chaudes larmes : « mais qui nous retient dans une ville qui a permis cette injustice contre l'un de ses plus fidèles enfants ? »Toujours imperturbable et faisant montre d'une grande maîtrise me répondit d'une voix calme : tu sais, mon fils, l'amour qu'occupe dans mon cœur l'amour de cette ville, ne pourra jamais me permettre de la quitter.Ses amis et ses élèves, dans un même élan de solidarité, se sont empressés, dès la nouvelle connue, à la rencontre du cheikh pour lui apporter leur soutien et lui proposer de réagir immédiatement à ce qu'ils considèrent comme une agression qui cible toute la ville de Laghouat à travers la personne de leur maître vénéré.Monsieur Hadj Mohammed Djamate qui était son élève, son confident et son ami le plus sincère me rapporta en détail le déroulement de l'entrevue : il fut demandé à cheikh boubakeur d'aller voir le ministre de l'époque ( il s'agissait de Ahmed Taleb El Ibrahimi) avec lequel il avait de très fortes relations du fait qu'il était le fils de cheikh el bachir . Le cheikh n'eut comme seule réponse que celle-ci, en reprenant une parole du saint coran : » Dieu prend la défense des croyants », et je suis convaincu que la vérité finira par éclater et que la promesse de Dieu de la victoire finale de la vérité n'est pas un vain mot et ma conviction en ces paroles est profonde. « Et il refusa d'aller voir le ministre pour faire valoir ses droits et faire rétablir la justice.Ses amis de guerre lasse, partirent à Alger sans lui et rencontrèrent le ministre qui ignorait tout de l'affaire et il fut grandement étonné de ce qui est arrivé à celui qu'il appelait son « frère » car il a vécu au sein de la famille Hadj aissa de longues périodes au temps de l'exil de son père à Aflou.Le ministre leur promis qu'il ne peut mettre en doute leur parole et qu'il veillerait personnellement à ce, qu'après enquête d'usage, il prendrait la décision qui s'impose.Après quelques jours , la vérité éclata au grand jour et cheikh Aboubakr se fit réintégrer à son poste après que lui soit proposé un poste au niveau central plus conforme avec ses capacités mais qu'il refusa parce cette nomination allait l'éloigner de Laghouat , ce qui lui était insupportable.De retour à Laghouat la délégation vint lui annoncer la bonne nouvelle et il eut pour seule réponse, après les avoir remercié de leurs efforts, » Ne vous ai-je pas dis que Dieu prend la défense des croyants ? Ceux qui ont fait ça sont les porteurs d'un projet contre lequel nous avons toujours lutté et ce n'est pas ma « petite personne » qui était visée mais ils ont ciblé le projet que je porte et que je continuerai à défendre jusqu'à la fin »Et notre cheikh ne tint jamais rigueur à ceux qui ont voulu lui faire du mal et fera montre d'une grande mansuétude en évitant que leurs identités soient révélées.Tolérance, mansuétude et grandeur d'âme ont été les caractéristiques de la personnalité du cheikh qui s'est toujours voulu un rassembleur et un médiateur, comme le lui enseignait les préceptes de l'islam.
Ce que nous ont légués nos cheikhs illustres, nos maîtres de l'association des oulémas musulmans algériens, comme valeurs est proprement inestimable. Ils nous ont servis de modèles et continuent toujours d'être la source de notre inspiration en laissant derrière eux les jalons de la voie rectiligne , en passe de nous éclairer et de nous garantir le bonheur d'ici bas et dans l'au-delà. Ils ont été les exemples vivants des grandes valeurs issues de la civilisation à laquelle nous appartenons, ils ne se sont pas contentés de nous enseigner cela au travers d'un apprentissage théorique et « froid » mais ils ont été au delà de cet enseignement mécanique en se livrant à nos yeux dans la plus belle des concrétisations de ces nobles idéaux.
Je me souviens qu'en 1964 ou 65 des séries de conférences a été programmée par le parti FLN de Laghouat dans le cadre d'une semaine culturelle, l'une des toutes premières de l'Algérie indépendante. Cela devait se passer dans la salle des conférences du FAJ (foyer d'animation de la jeunesse) situé à la place des oliviers ( placet ezitoune comme l'appelle les Laghouatis).Cheikh Aboubakr a été contacté pour animer une conférence entrant dans le cadre de ce programme mais il a gentiment décliné l'offre car il n'aimait pas les feux de la rampe. Son humilité et sa modestie et (peut être même sa timidité) l'ont toujours empêché d'être au devant de la scène ; il préfère le cercle restreint de ses amis et élèves qu'il rencontre quotidiennement après les heures de travail, à ce que l'on pouvait appeler « cercle culturel » , qahwat si ali . Si Ali el qahwaji (c'est comme cela que l'on l'appelait) avait loué un petit local situé avenue du premier novembre, dans le seul but de permettre la rencontre du cheikh avec ses amis et ses anciens élèves, il leur préparait un thé que seul, lui sait préparer et « jouissait » à écouter des heures durant le cheikh répondre aux demandes de fatwas ou restituer pour eux « manaqib « cheikh el Ibrahimi.Ce jour là , la conférence était animée par Cheikh El Hocine Zahia , qui était connu , en plus de sa compétence comme enseignant à la medersa , par son sourire qui ne quittait jamais ses lèvres ( au fait,il portait bien son nom !)
La salle était pleine, toutes les personnalités de la ville étaient là et cheikh el Hocine s'apprêtait à commencer sa conférence. Quand Cheikh Aboubakr, arrivé en retard, rentra dans la salle, Si el Hocine, l'apercevant du haut de la tribune, s'interrompit et eut ces mots en direction de l'assistance : « je m'excuse auprès des organisateurs mais je ne peux pas continuer, il serait indécent pour moi de continuer ma conférence en présence du cheikh, je lui cède la place parce que c'est à lui que doit revenir l'honneur d'occuper cette place » et il fit mine de descendre de la tribune. Cheikh Aboubakr, le visage ruisselant de sueur, fit signe au conférencier de continuer mais celui-ci était déjà en bas, prenant la main du cheikh pour l'aider à monter les escaliers pour atteindre la tribune.
Devant son hésitation à s'exécuter, l'assistance insista, par la voix en vue de le faire plier, ce qui finira par arriver en fin de compte.Le cheikh, sans préparation aucune, parvint à conférer sur le sujet d'une façon magistrale pendant plus d'une (01) heure devant une salle subjuguée par la manière très pédagogique de transmettre le message.Comment pouvons nous appeler cela ? : Un conférencier qui cède sa place, de sa propre initiative, à quelqu'un d'autre sans que cela lui ait été demandé. On appelle cela l'esprit d'abnégation, d'humilité et de respect mutuel que vouent les oulémas les uns vis-à-vis des autres.C'est cela qui nous a été enseigné des années durant à la medersa de l'association : il ne suffisait pas de faire un cours de morale sur telle ou telle vertu mais il fallait la vivre et en incarner le véritable sens. C'est ce sens là que nous avons compris de l'enseignement de nos maîtres et qui semble, malheureusement, absent de l'enseignement d'aujourd'hui.
Ils sont restés égaux à eux même dans toutes les situations de la vie et jusqu'à la fin .Que Dieu vous récompense pour les belles œuvres que vous avez accomplies dans la voie de la formation de l'homme.
Puissiez vous servir d'exemples aux générations futures.

Mr Hadj Aissa Mohammed Fait le 28 Mai 2008
mhadjaissa2003@yahoo.fr
par hbenghia publié dans :
Personnages célèbres
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Photo illustrant ce qui suit relevés dans le forum du site Milianaville.com (forum)

pelican

Hors ligne Inscrit le: 12 Jan 2008 Messages: 346

Posté le: Ven 7 Nov - 19:04

Cette photographie représente les enseignants de la Medersa de l'association des oulémas musulmans algériens de Laghouat ouverte en 1948 et fermée par le colonialisme français en 1957 après emprisonnement de son personnel enseignant et l'assassinat de son directeur le martyr Cheikh Ahmed Chatta. On y aperçoit : De gauche à droite (1er rang): -Cheikh Hadj-Aissa boubakeur dit El Aghouati (1912-1987) - Mohammed El mili (fils aîné de Cheikh Moubarek el Mili) Cheikh Ahmed Chatta ( assassiné en 1957 après son arrestation en 1957) . Debout : - Cheikh Ahmed Keciba -Si mohammed Benabderrahmane ( un bénévole) -Cheikh Hocine Zahia - Si el Bey Gadhbane blog coutumes de Laghouat
_________________Là où le coeur est bon la douleur est saine.

ghadames

Invité Spécial

Hors ligneInscrit le: 27 Déc 2007 Messages: 498

Posté le: Ven 7 Nov - 21:05

Merci à Pelican de rendre hommage à des enseignants-pionniers que tout jeune je connus et qui formèrent plusieurs générations - dont mes frères et soeurs. Courageux ils étaient pour affronter une administration coloniale très dure. Que dieu ait leur âme! Savez-vous que parmi ces enseignants se trouvait Mr Henni, ancien Proviseur du Lycée Ferroukhi de Miliana?
_________________le coeur perçoit ce que l'oeil ne voit pas

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M
<br /> Bonjour MR.Heboul, mon adresse électronique (yahoo) ayant été piratéé,je vous communique la nouvelle.Un nouvel ouvrage a vule jour"LETTRES àNEYLA-MERIEM"et j'évoqueLaghouat à nouveau.A quand<br /> d'autres articles sur votre blog?Amitiés.Leila ASLAOUI-HEMMADI<br /> <br /> <br />
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